Jeux de rubans d'Emna Belhaj Yahia

Frida, chercheur, la cinquantaine, divorcée, compose sa vie entre son fils Tofayl, son compagnon Zaydûn et sa mère, si belle mais qui n’a plus sa tête. Frida non plus n’y voit pas très clair en ce moment. Elle ne comprend pas pourquoi elle croise de plus en plus de femmes voilées, elle dont la mère a justement enlevé le voile il y a des décennies. Pourquoi ces femmes habillent-elles ainsi leurs corps ? Comment s’habituer à ces nouvelles robes qui leur arrivent à la cheville, à ces métrages sur leurs cheveux ? Que veulent-elles dire par là ? Puis il y a la jeune étudiante que rencontre son fils, qui elle aussi porte un foulard sur la tête, son fils à qui elle avait pourtant montré la voie de la « modernité ». Frida est mal à l’aise mais cherche des réponses.
Dans le concert des voix qui traversent ce roman, on découvre des points de vue contradictoires, des vérités divergentes d’un personnage à l’autre. Le tout à l'intérieur d'une Tunisie qui, en se reconstruisant, se donne aujourd'hui à lire autrement.

Frida est une tunisienne libre. Divorcée, cette universitaire d'une cinquantaine d'années, élève seule son fils Tofayl, vit un amour hors mariage avec Zaydûn et s'occupe tous les matins de sa vieille mère. Elle aime son pays mais s'interroge sur le nombre croissant de femmes voilées qu'elle rencontre dans les rues de sa ville. Elle sait le courage qu'il a fallu à Zubayda, sa mère, pour oser sortir tête nue un beau matin. Elle s'inquiète d'être stigmatisée si un jour le voile devient la norme. Elle comprend que pour certaines femmes se cacher sous le voile, c'est se protéger des regards et obtenir le respect et c'est justement cela qui la révolte! Femmes de convictions, Frida tombe de haut quand, par un bel après-midi, elle rencontre par hasard son fils main dans la main avec la belle Chokrane, une jeune fille voilée. L'éducation, les valeurs qu'elles a inculquées à son fils, tout s'effondre. Sa tolérance vole en éclats et elle se ronge les sangs à s'en rendre physiquement malade.

Emna BELHAJ YAHIA nous livre le très beau portrait d'une femme libre et heureuse en prise directe avec les tourments de la société tunisienne. Que faut-il penser du voile? Quel est son rapport avec la foi? Est-il un choix réfléchi ou une contrainte? Peut-on faire cohabiter sans heurts les femmes voilées et les autres? Quel est le rôle des hommes? De la pression sociale? A travers les questionnements de son héroïne, l'auteure apporte ses réponses sans manichéisme, dans le respect des choix de chacune, sur un sujet assez délicat.
Après ma lecture, je n'ai pas toutes les réponses mais j'en sais plus sur le voile, sa symbolique et le choix de certaines. Rien n'est jamais noir ou blanc. Frida, femme entière et absolue, réagit avec fureur et excès au choix de son fils adoré mais c'est aussi une femme sensée et réfléchie. En creusant sa mémoire, elle va se souvenir d'une époque de sa petite enfance ou elle revêtait le voile de sa mère, en cachette, pour lui ressembler; une époque où donc elle acceptait le voile comme faisant partie de sa vie.
Un livre très bien écrit, une belle histoire à lire pour comprendre, connaître et s'ouvrir aux autres. Une belle découverte.